Bruno Synakowski : « Il n’est pas toujours simple, pour la retraite des sportifs de haut-niveau, de reconstituer leur carrière »

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Bruno Synakowski : « Il n’est pas toujours simple, pour la retraite des sportifs de haut-niveau, de reconstituer leur carrière »

Dans le récent rapport de l’Institut de la protection sociale (IPS) sur l’évolution des cotisations de retraite des entreprises et des salariés dans le régime universel, un chapitre est consacré aux footballeurs professionnels. L’étude y affirme notamment qu’à de rares exceptions près, le nouveau système réduira les cotisations retraite de la majorité des joueurs professionnels, aboutissant ainsi à l’inverse de la volonté de « justice sociale » affichée par le gouvernement.

Retour sur la situation des sportifs professionnels avec Bruno Synakowski, dirigeant de la société Synassur Conseils.

Previssima - Comment est organisée la protection sociale des sportifs professionnels ?

Bruno Synakowski - Les sportifs professionnels signent des contrats de travail, souvent à durée déterminée. À ce titre, ils sont salariés et relèvent donc du régime général de la Sécurité sociale.

En termes de prévoyance, des négociations sont faites avec des assurances en cas d’arrêt de travail.

Enfin, ils ont des spécificités appelées « perte de licence ». Lorsqu’un sportif change de club et signe un nouveau contrant, il a l’obligation de réaliser des tests médicaux qui établissent son état de santé. Si un problème médical est détecté, il y a rupture du contrat de travail et un capital est versé pour non-poursuite de l’activité professionnelle.

À noter que les grands joueurs ont souvent deux statuts :

  • En tant que salarié du club
  • En tant qu’indépendant pour tout ce qui concerne leur droit à l’image

En ce qui concerne leur retraite, quelles ont été les récentes évolutions pour les joueurs de football professionnels ?

Avant le 1er janvier 2019, il y avait deux régimes de retraite complémentaires pour les salariés : l’AGIRC et l’ARRCO. Les cadres, seuls, cotisant à l’AGIRC.

La plupart des sportifs professionnels, notamment les joueurs de football professionnels, ont un statut de non-cadre et ils ne cotisaient alors qu’à l’ARRCO. Or le taux de cotisation de l’ARRCO a largement évolué. Avant 1996, il était de 4 % appelé à 125 %. L’accord ARRCO de 1996 a institué le passage progressif du taux de cotisation contractuel à 16 % sur la tranche 2 pour les non-cadres, appelé à 125 %.

Les cotisations retraite, et nécessairement les droits, ont donc augmenté pour les non-cadres dont certains sportifs professionnels.

Ensuite, il y a eu au 1er janvier 2019 la fusion de l’AGIRC-ARRCO. Le système de tranches A, B et C a disparu. Avant, les non-cadres avaient une cotisation de retraite complémentaire jusqu’à la tranche B, soit 3 Plafonds de la Sécurité sociale (PASS). La tranche C, réservée à l’AGIRC et au statut de cadre, courrait jusqu’à 8 PASS. Les clubs de ligue 1 choisissaient donc le statut de non-cadre pour leurs joueurs. Avec la fusion des caisses et la disparition de l’AGIRC, les clubs ont été obligés de payer des cotisations de retraite complémentaire jusqu’à 8 PASS. C’est une augmentation de cotisation conséquente pour les clubs, mais qui correspond aux revenus des joueurs professionnels.

NDLR

La tranche 2 des sportifs atteindra 8 PASS en 2021. Actuellement, elle est limité à 6 PASS en 2020.

Selon le récent rapport de l’IPS, la réforme des retraites entraînerait une baisse des cotisations pour la majorité des joueurs de football, pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?

Cette baisse est liée au plafonnement des cotisations à 3 Plafonds, prévu dans le projet de loi. L’assiette de cotisation est nettement plus basse que dans le régime de retraite complémentaire actuel : on passe de 329 088 €/an à 120 000 €/an. Il y a une différence d’environ 200 000 € sur laquelle ne sont plus prélevées de cotisations.

De plus, dans le régime complémentaire actuel, les cotisations sont appelées à 127 %. Donc 27 % du taux correspond à une « cotisation solidarité ». Or, dans le régime universel, cette cotisation non-contributive est établie à 2,81 %. La baisse est considérable.

Il faut aussi noter que cette baisse des cotisations (et de la cotisation solidarité) est propre au régime général. Si l’on regarde le régime des travailleurs indépendants, on constate qu’il n’y a actuellement pas de cotisation solidarité, même de 2,81 %.

Néanmoins, même en tenant compte de cela, l’assiette et le taux de cotisation qui sont prévus dans le rapport Delevoye, ne sont pas équitables. Pour les haut-revenu qui cotisaient sur 8 PASS et qui ne cotiseront plus que sur 3, c’est une baisse des futurs droits à pension.

Pour pallier cette baisse des droits à pension, les haut-revenu souscriront-ils des solutions assurantielles privées ?

Même avec un pouvoir d’achat plus élevé, je ne suis pas sûr que les assurés sociaux épargnent plus pour leur retraite. C’est encore plus vrai lorsqu’ils sont jeunes. En revanche, ils consommeront plus.

Concernant la retraite, existe-t-il des problématiques propres aux sportifs de haut-niveau ?

Les reconstitutions de carrière ne sont pas toujours simples pour les sportifs de haut-niveau. J’ai été sollicité par le club des ex-internationaux de football pour accompagner ses membres dans la réalisation de leur bilan retraite. Certains ont eu des carrières parfois chaotiques avec des périodes de chômage, différentes activités, des périodes à l’étranger, etc. Pour ces anciens joueurs, la reconstitution des droits à retraite est parfois complexe.

Les sportifs de haut-niveau sont des personnes très volatiles. Ils peuvent jouer en France puis en Espagne, puis en Suisse… Ils peuvent être amenés à signer des contrats un peu partout, mais les systèmes de cotisation retraite ne sont pas les mêmes dans chaque pays.

Je le constate avec certains de mes clients qui réalisent une partie de leur carrière en France puis partent pour un contrat, souvent de plusieurs années, à l’étranger. Dans le pays d’expatriation, il n’y a pas toujours de système de cotisation retraite ni d’accord avec la France. Il faut donc anticiper et cotiser à la Caisse des français de l’étranger (CFE) pour valider ses trimestres et ne pas pénaliser sa carrière.

Actuellement, si un sportif cotise sur des revenus plus faibles pendant quelques années, ce n’est pas problématique, car le système actuel retient les 25 meilleurs années. Mais ce ne sera plus le cas dans le régime universel. Que va-t-il se passer pour les « trous de carrière » pendant lesquels les assurés vont payer peu (voire pas) de cotisations ? Typiquement les missions à l’étranger peuvent entrer dans ce cas de figure.

Quel est votre sentiment quant à la réforme des retraites ?

Si l’on observe le projet initial du gouvernement, on note qu’il est orienté pour réduire le déficit. Le Conseil d’orientation des retraites (COR) affirme que le déficit de la branche retraite, c’est-à-dire la différence entre les prestations perçues et les cotisations versées, sera de 5 milliards d’euros par an. Il va falloir les trouver. Trois paramètres peuvent être actionnés :

  • Allonger la durée de travail, ce qu’ils ont appelé l’âge pivot, soit une autre façon de dire l’âge légal de départ à la retraite
  • Augmenter les cotisations retraite, mais cela réduirait le pouvoir d’achat
  • Baisser les prestations, ce qui se produit déjà depuis quelques années avec la dépréciation de la valeur du point

Selon moi, il faudrait mettre l’âge légal de départ à la retraite à 65 ans, voire plus, et parallèlement créer une classification des emplois pénibles pour lesquels seraient prévus des départs anticipés. Si rien n’est fait, nos pensions de retraite vont baisser automatiquement.

Suivez les débats sur la réforme des retraites :

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