Éric Chevée (CPME) : « Nous sommes en faveur d’un report de l’âge légal de départ à la retraite à 65 ans »
Alors que les élections présidentielles approchent à grand pas, les 12 candidats déroulent leurs propositions sur les grands sujets sociaux.
De leur côté, les partenaires sociaux souhaitent peser dans la campagne en participant au débat démocratique. C’est notamment le cas de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME). L’organisation patronale a en effet publié un livre blanc intitulé CAP France PME 2022-2027, comprenant 76 propositions concrètes à destination des candidats à l’élection présidentielle. L’objectif affiché : « placer la réussite des PME au cœur du prochain quinquennat ».
Retraite à 65 ans, baisse des charges sociales, emploi des séniors, assurance-chômage, lutte contre l’absentéisme, etc. Retour avec Éric Chevée, vice-président de la CPME en charge des affaires sociales, sur les principales propositions de l’organisation.
Previssima - Le système de retraite par répartition étant à bout de souffle, une réforme est inéluctable. Quelle position défend la CPME sur le sujet ?
Éric Chevée – A la CPME, nous ne considérons pas que le modèle actuel est à bout de souffle ; selon nous, il n'y a pas de déséquilibre fondamental du système par répartition. Toutefois, nous aurons dans le futur un maintien difficile des niveaux de retraite actuels, qui peut se traduire par un problème potentiel de conflit générationnel.
Par ailleurs, la question d’un système universel de retraite n’est pas pertinente. Et pour cause, en France, il existe 3 grandes catégories d'actifs qui présentent de grandes distinctions entre elles : les salariés du privé, les fonctionnaires et assimilés et les travailleurs indépendants. Prenons le cas d’un professionnel libéral : il commence sa carrière très tardivement et la finira à 67 ans ; il a des investissements de début de carrière qui généralement l'empêchent de cotiser pleinement pour sa retraite, en revanche il a potentiellement des revenus de fin de carrière qui lui permettraient de s’acquitter d’une cotisation plus importante. En comparaison, le salarié du privé a généralement un parcours plus linéaire et progressif.
Plus globalement, nous sommes favorables à un système universel de retraite de base, un système socle complètement solidaire permettant d’assurer un minimum de pension décent et un régime complémentaire à 3 silos - salariés du privé, fonctionnaires et travailleurs indépendants - bien distincts et non solidaires entre eux.
En outre, pour que le taux de remplacement ne soit pas dévalué à échéance de 20 ans, 25 ans ou 30 ans, nous recommandons de reporter l’âge légal de départ à la retraite à 65 ans. Ce report progressif s’achèverait en 2030 et permettrait de garantir un taux de remplacement qui ne se délite pas trop.
De plus, à l’horizon 2030, nous proposons d’adjoindre une part de capitalisation dans le régime complémentaire, à hauteur de 4 points de cotisations ; ce système, mis en œuvre progressivement, serait géré collectivement par les partenaires sociaux. L’ajout de ce « chapeau » de capitalisation dans le système par répartition permettra selon nous d'impliquer plus fortement les jeunes générations dans le dispositif actuel par répartition, lesquelles ne sont pas convaincues que le système leur verse une retraite décente à terme.
Comment agir pour encourager le travail des séniors ?
Il est vrai que nous avons un problème de recrutement et de maintien dans l'emploi des séniors. D’ailleurs, lors des négociations ayant débouché sur l’accord sur la santé au travail, nous avons proposé de mettre en place la visite de mi-carrière, essentielle à nos yeux, puisque nous considérons qu'il y a des métiers qu’on ne pourra pas exercer toute notre vie pour des raisons de pénibilité, d’usure ou d’exposition physique.
Afin d’inciter les entreprises à embaucher ou garder leurs salariés séniors, nous proposons également d’instaurer des avantages compétitifs plus intéressants ciblés sur les salariés âgés, tels qu’une réduction, voire une suppression des cotisations chômage.
La CPME se dit favorable à une baisse des charges sociales pesant sur les entreprises ; quels en seraient les effets vertueux ?
Nous déplorons le fait qu’en France, il existe une « trappe à bas salaires » : les réductions de cotisations sont concentrées sur les bas salaires, ce qui n’engage pas les employeurs à augmenter les rémunérations et dans le même temps, au-delà d’un certain niveau de salaire, s’applique une sur-cotisation et donc un niveau de charges supérieur à celui à nos voisins européens.
Par exemple : le taux de cotisations pour un salarié non cadre au niveau du Smic s’élève à 4 % en France ; en Allemagne il est à 20 %. En parallèle, un cadre percevant 50 000 € de revenus annuels en France s’acquittera de 42 % de charges, contre 19 % en l'Allemagne. Nous proposons de mieux lisser les charges sociales sur l'ensemble du spectre de la rémunération.
En outre, le Gouvernement a mis en place des incitations visant à développer le recours à l’intéressement et à la participation dans les PME. Le problème, c’est que ces mécanismes sont par essence inadaptés aux petites entreprises, lesquelles reposent sur un modèle patrimonial de partage de la valeur. Ce sont des dispositifs de grandes entreprises que l’on essaye d'appliquer à des petites entreprises ; or, une petite entreprise n'est pas une grande entreprise miniature, c'est un modèle différent.
En lieu et place, nous recommandons d’intégrer la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat (PEPA) dans le code du travail. Une prime de type PEPA, exonérée de charges sociales et déductible du résultat imposable constitue selon nous le seul modèle pertinent ; cette prime bénéficierait aux salariés ayant contribué à obtenir un bon résultat dans l’entreprise. La distribution de la prime pourrait être corrélée à un indicateur de performance de l'entreprise (le chiffre d'affaires, l’excédent brut d'exploitation, le résultat net, etc.). Le chef d'entreprise pourrait également l’affecter à titre individuel, en fonction de la performance de chacun.
Pensez-vous que les mesures incluses dans la réforme de l’assurance-chômage, dont l’entrée en vigueur s’est achevée le 1er décembre dernier, sont suffisantes ou préconisez-vous d’aller encore plus loin ?
Sur la question de l’assurance-chômage, nous pensons qu’il faut revenir aux fondamentaux : comme son nom l’indique, l'assurance-chômage est un régime assurantiel et lorsque l’on s'assure contre un accident de parcours professionnel, la première chose que l’on devrait avoir à l’esprit, c’est que ce risque ne se réalise pas. Ce n'est pas un droit de tirage que l’on peut obtenir au moins une fois au cours de sa vie. Je crois qu’en matière de chômage, nous avons complètement perverti l'approche assurantielle initiale, avec au sommet, la mise en œuvre d’une allocation chômage pour les indépendants sans cotisations de ces derniers.
Nous appelons à la nécessité de distinguer, au sein du régime de l'assurance-chômage, ce qui relève du vrai régime assurantiel et ce qui a trait à la solidarité. Dans ce dernier cas, c’est à l’État d’assurer une prise en charge via l’impôt.
Fin 2022, nous renégocierons entre partenaires sociaux la convention d'assurance-chômage qui devra constituer un réel dispositif assurantiel doté de mesures pertinentes favorisant le retour à l'emploi.
Que proposez-vous afin de lutter contre l’absentéisme au travail ?
Dans une perspective de lutte contre l’absentéisme au travail, nous proposons le rétablissement des 3 jours de carence chez les fonctionnaires, contre un jour actuellement. Et pour cause, les agents de la fonction publique accusent un taux d’absentéisme 5 fois supérieur à celui des salariés du privé (15 jours contre 5 jours, ndlr). D’ailleurs, nous avons remarqué l’efficacité du système lors de l’instauration du jour de carence dans la fonction publique qui s’est matérialisé par une chute du niveau d’absentéisme.
Il peut être pertinent de réfléchir aux problématiques liées aux risques psycho-sociaux, à l’environnement de travail dans un contexte de numérisation de l’économie, tous ces bouleversements majeurs actuels, cette période de transition, entraînant une instabilité quant à notre rapport au travail.
Enfin, il est fondamental de mettre en place un cadre de travail épanouissant au sein des entreprises, ce qui contribuerait à améliorer la productivité au travail. Il faut également lutter contre la trappe à bas salaire qui bloque les perspectives d’évolutions de carrière.
Quelles seraient les 3 grandes recommandations que vous feriez au candidat élu le 24 avril prochain en matière de protection sociale ?
La première recommandation que je lui ferais, ce serait d’abaisser le coût du travail, trop élevé. Au sein de notre modèle social, il y a toujours un différentiel trop important en matière d’impôts de production : le système est financé par nos charges en grande partie encore, ce qui pèse sur la rentabilité de nos entreprises.
Deuxième préconisation : l'État ne peut pas tout faire et l'État ne doit pas tout faire ; à côté de la nécessaire solidarité nationale, on doit toujours garder un espace de contractualisation individuelle ou collective et ce, pour permettre la responsabilisation des acteurs. Dans le champ du collectif, nous revendiquons la possibilité de développer nos propres produits suivant les caractéristiques de nos branches professionnelles. Sur la question du rôle de l’État, l’idée de la « Grande Sécu », véritable projet d’étatisation de la complémentaire santé, serait une catastrophe. Nous sommes fondamentalement opposés à ce modèle poussé à l’extrême.
La dernière recommandation serait qu’il faut entendre qu’une PME n’est pas une grande entreprise en miniature.