Fusion AGIRC-ARRCO : « Les salariés ne travailleront pas forcément 4 trimestres de plus pour annuler le malus »
Au 1er janvier 2019, les régimes de retraite complémentaire des salariés, AGIRC et ARRCO, ont fusionné. Instauré par deux accords nationaux interprofessionnels du 30 octobre 2015 et du 17 novembre 2017, le régime unifié a entraîné une modification des paramètres relatifs au régime (assiettes et taux de cotisations, conversion des points AGIRC en points AGIRC-ARRCO et instauration d’un système de bonus/malus sur les pensions de retraite), mais elle a également des conséquences sur les régimes de prévoyance, frais de santé et retraite supplémentaire collectifs.
Au vu de ces nouvelles dispositions, que peuvent faire les entreprises et les salariés ? Christel Bonnet, Consultante retraite senior chez Mercer France, en charge de l’activité gestion de fin de carrière des salariés pour les entreprises, répond aux questions de Previssima.
Côté entreprises
PREVISSIMA - Que va-t-il advenir de la protection sociale collective, notamment en ce qui concerne la question des exonérations de charges sociales patronales relatives au financement des régimes de protection sociale complémentaire ?
Christel Bonnet - L’avantage social sur les cotisations de ces contrats n’est possible que si ces régimes bénéficient à une catégorie objective de salariés.*
La fusion de l’AGIRC-ARRCO entraîne la disparition de l’AGIRC et donc de facto la disparition de la catégorie cadre. Cette conséquence n’a pas été anticipée alors qu’elle concerne les régimes de prévoyance, de santé et de la retraite supplémentaire d’entreprise. L’enjeu financier est important pour toutes les entreprises.
Où en sont les négociations sur l’accord national interprofessionnel (ANI) permettant de caractériser l’encadrement ?
Les discussions entre les représentants syndicaux et le patronat avaient démarré en mars 2018. Elles se sont arrêtées en raison des divergences de points de vue : fallait-il avoir une approche nationale ou par branche d’activité ?
Face à l’échec de la négociation, les entreprises craignaient de subir des redressements URSSAF sur leur charges sociales patronales. Fin 2018, une circulaire ACOSS les invite à appliquer les anciennes définitions de cadre.
Les discussions n’ont repris que le 5 mars 2019 où de nouvelles rencontres ont été organisées. Il est important qu’elles aboutissent pour que les entreprises puissent effectuer les changements nécessaires.
NDLR
15 mois après le début des discussions, la négociation autour de l’encadrement semble enfin se débloquée. À l’issue de la réunion du vendredi 29 mars 2019, les partenaires sociaux sont parvenus à un consensus autour de critères à prendre en compte pour définir la fonction de cadre.
Que peuvent faire les entreprises pour se préparer aux résultats que donneront les négociations ?
Nous leur recommandons de répertorier tous les dispositifs de leur système de protection sociale. En particulier de noter, pour chaque régime, quelle est la définition de la catégorie objective de bénéficiaires.
Ainsi à l’issue des négociations, lorsque la catégorie cadre sera définie, elles seront en mesure d’estimer l’impact financier engendré par une éventuelle augmentation du nombre des bénéficiaires et pourront opter pour une redéfinition de leurs catégories.
Elles doivent se poser les questions suivantes : quels sont les régimes concernés ? Comment sont définies les catégories objectives ? Et quelles sont les assiettes de cotisation ?
Côté salariés
Avec la fusion des deux caisses, les paramètres du régime ont évolué, le régime unifié AGIRC-ARRCO fait-il des perdants ?
La transformation des points AGIRC en points AGIRC-ARRCO n’aura pas d‘impact sur le niveau de pension ; le nombre de points est divisé par 3 en moyenne, mais le point AGIRC-ARRCO est plus élevé. Cette opération est neutre pour tous.
Un coefficient de conversion permet la conversion des points AGIRC, en point AGIRC-ARRCO. Faites une simulation
Les seuls perdants sont les bénéficiaires de la Garantie minimale de points (GMP). Elle permettait aux salariés cadres qui cotisaient sur des bas salaires de bénéficier de 120 points AGIRC contre le versement d’une cotisation forfaitaire minimale (employeur et salarié). Dorénavant, ces points ne seront plus accordés puisque la GMP disparaît dans le nouveau régime unifié.
Le régime de retraite complémentaire a instauré un système de bonus/malus sur les pensions, comment fonctionne-t-il ?
Trois situations se présentent :
- Le salarié demande sa retraite complémentaire à la date à laquelle il bénéficie du taux plein dans le régime de base : il subira une minoration de 10 % pendant 3 ans du montant de sa retraite complémentaire, et au maximum jusqu’à l’âge de 67 ans.
- Le salarié demande sa retraite complémentaire 1 an après la date à laquelle il bénéficie du taux plein dans le régime de base : il ne subira pas de coefficient de solidarité.
- Le salarié demande sa retraite complémentaire 2 ans après la date à laquelle il bénéficie du taux plein dans le régime de base. Il bénéficie alors d’un bonus et sa pension de retraite complémentaire est alors majorée pendant 1 an de 10 %. S’il décale la liquidation de 3 ans, la majoration est de 20 % et s’il décale la liquidation de 4 ans, la majoration atteindra 30 %.
Il est important de dédramatiser sur ce système de bonus/malus. Les salariés ont tout entendu sur le sujet, en particulier des informations anxiogènes. Beaucoup s’imaginent qu’il s’agit de montants astronomiques. Lorsqu’ils reçoivent l’estimation indicative globale (EIG), un document sur lequel figure une synthèse des droits acquis auprès des différents régimes de retraite ainsi qu’une estimation du montant de la pension de retraite en fonction de l’âge de départ choisi, les salariés appliquent la minoration prévue dans le cadre du dispositif bonus/malus à ce montant global. Or, le malus ne s’applique qu’à la pension de retraite complémentaire AGIRC-ARRCO.
Alors, quel sera l’impact du malus AGIRC-ARRCO sur la pension ?
Tout dépend du montant de la retraite complémentaire, mais l’impact du malus peut être « relativisé ». Pour un salarié qui percevrait 18 000 € brut de retraite de base et 7 000 € brut de retraite AGIRC-ARRCO, soit 25 000 € brut par an en tout, la minoration éventuellement subie ne s’appliquera que sur la part AGIRC-ARRCO (7 000 €), soit 700 € brut par an.
En revanche, pour un cadre dirigeant dont la pension de retraite de base est au maximum (50 % du PASS), soit 20 262 € brut, mais dont la pension AGIRC-ARRCO est beaucoup plus importante, 60 000 € brut, l’impact du malus sera plus grand (6 000 €).
Un salarié à qui il manque un trimestre subira une décote sur le montant de sa retraite. Cette décote annule le malus AGIRC-ARRCO puisqu’il ne s’applique que sur les pensions à taux plein.
Ainsi, beaucoup de paramètres entrent en jeu et chaque cas sera l’objet d’un arbitrage particulier. Le salarié devra avoir une idée précise de l’impact du malus sur sa pension pour estimer si cela va remettre en question l’âge auquel il souhaite partir en retraite.
En pratique, sur les bilans retraite, on observe que la plupart des salariés souhaitent partir le plus tôt possible. Le malus n’est pas si dissuasif.
Vous pensez que le dispositif n’est pas efficace ?
Ce système de malus, qui a pour objectif de pousser les salariés à retarder leur départ en retraite et donc à cotiser plus longtemps, doit permettre de renforcer la stabilité financière du régime AGIRC-ARRCO. Pourtant cela ne peut fonctionner que sur un effet de masse.
Pour moi, tout dépendra du niveau d’information des salariés sur les modalités de calcul de leur pension. Je pense que les salariés bien informés ne partiront pas plus tard. Ils ne travailleront pas 4 trimestres de plus pour annuler le malus, car l’effet sur les pensions sera souvent faible.
De la même manière, au vu de mes expériences et de mes échanges quotidiens avec les salariés, je ne pense pas qu’ils seront nombreux à travailler 2 ans de plus pour bénéficier du bonus de 10 %, car l’effet sur le montant de leur pension sera trop faible.
Néanmoins, il faudra attendre 2 ou 3 ans pour pouvoir vérifier l’efficacité du dispositif.
À NOTER
Seules les contributions des employeurs destinées au financement de prestations de retraite et de prévoyance complémentaires qui présentent un caractère collectif et obligatoire sont exclues de l’assiette des cotisations.
Cette notion est strictement encadrée et le Code de la Sécurité sociale limite à 5, le nombre de critères permettant de définir une catégorie objective de salariés. Or, parmi ces critères figurent :
- L'appartenance aux catégories de cadres et de non-cadres définies aux articles 4 et 4 bis de la convention AGIRC et à l'article 36 de l'annexe I de cette même convention
- La détermination d’un seuil de rémunération fixé par rapport aux limites inférieures des tranches déterminées pour le calcul des cotisations aux régimes complémentaires de retraite AGIRC – ARRCO
Ces critères sont présents dans de nombreux accords d’entreprise, mais ils sont caducs avec la disparition de l’AGIRC. Dans la mesure où elle conditionne le bénéfice des exonérations de cotisations de Sécurité sociale dédiées au financement collectif, une nouvelle définition de l’encadrement doit être refixée par le futur Accord national interprofessionnel (ANI).
